Trente et Quarante
Le trente et quarante est un jeu de cartes qui fit son apparition en France au XVème siècle.
Le trente et quarante ne comporte que des chances simples, payées à égalité (1 fois la mise) et qui sont : noir, rouge, couleur, inverse.
Les chances sont inscrites sur un tapis, sur lequel on dépose les mises.
Le banquier mélange six jeux de 52 cartes, fait couper par un joueur, et place une carte rouge avant les cinq dernières cartes du paquet. A la fin de la taille, c'est-à-dire lorsque toutes les cartes moins cinq, auront été utilisées, l'apparition de la carte rouge annule le coup en cours.
Lorsque les mises sont placées, le banquier étale devant lui des cartes une à une, en deux rangées. Chaque carte a une valeur en points (As = 1 point, 2 = 2 points, etc. Les figures ou bûches valent 10 points). La première rangée de cartes s'appelle noir. Le banquier cesse d'y placer des cartes lorsque le total des points a dépassé 30 : si, à l'avant-dernière carte, le total est 30, la carte suivante terminera la rangée, qui aura comme valeur minimale 31 (si le banquier tire un As) et comme valeur maximale 40 (s'il tire une bûche). La deuxième rangée s'appelle rouge et se construit de la même façon. Le jeu se poursuit comme suit :
1 - le banquier détermine quelle est la rangée dont le total est le plus près de 30. Cette rangée est la rangée gagnante. Elle est rouge ou noir.
2 - si la rangée gagnante est de même couleur que la première carte de la première rangée, le croupier annonce : « Couleur gagne ».
3 - si la rangée gagnante est d'une autre couleur que la première carte de la première rangée, le croupier annonce : « Inverse gagne ».
4 - si les deux rangées valent le même nombre de points et si ce nombre est différent de 31, le coup est annulé, le banquier jette les cartes et recommence à aligner deux rangées.
5 - si les deux rangées valent 31, il y a refait. Les mises sont placées « en prison », comme à la roulette et, au coup suivant, elles sont soit libérées (et le ponte peut les reprendre ou les laisser sur le tapis), soit perdues.
Remarque : chaque coup entraîne l'annonce de deux chances : noir et couleur, noir et inverse, rouge et couleur, rouge et inverse; le prélèvement du casino (dû à l'existence du refait) représente environ 1 %.
Ci-dessus, le schéma du tapis au trente-et-quarante. Le distributeur dispose deux rangées de cartes (les noires et les rouges) jusqu'à ce que chacune d'elles fasse un total de 31 ou plus. Les joueurs parient sur l'une ou l'autre rangée (celle qui formera 31 la première), en plaçant des jetons sur rouge (R) ou sur noir (N). Ils parient aussi sur la couleur (que la première carte de chaque rangée sera la couleur de la rangée, ou inversement.
Petite histoire des compteurs au trente et quarante
Cette histoire est l’une des plus significatives dans l'histoire du Jeu. Elle démontre clairement qu'un jeu réputé invincible durant des centaines d'années a trouvé « ses maîtres ».
Le trente et quarante, appelé aussi « roi des jeux » était très apprécié des joueurs car l'impôt retenu par le casino était fort modeste, il connaissait une grande vogue et plusieurs tables fonctionnaient toute la journée à l’époque.
En cette année 1923, un vieil Anglais était en observation dès l'ouverture d'une table. Comme beaucoup de joueurs, il disposait d'un petit carnet et d'un crayon et semblait faire des comptes précis...
Il jouait peu, fort peu même et, durant chaque taille, il notait sans relâche, semblant faire des calculs complexes sur son petit carnet. Brusquement, et dans certaines occasions seulement, il se décidait à jouer lorsqu'il restait dans le sabot de quoi compter un dernier coup. Il jouait alors sur le rouge, et se rattrapait de sa longue patience en jouant le maximum de la table...
Et très bizarrement, cette manière de jouer semblait lui réussir. Il lui arrivait quelquefois de ne pas jouer du tout durant plusieurs tailles, c'est-à-dire durant plusieurs heures, puis, toujours sur le dernier coup d'une taille et après avoir consulté son carnet de comptes, il misait de nouveau et perdait rarement. Cependant, au bout de plusieurs semaines, les « différences », c'est-à-dire les sommes jouées (perdues ou gagnées) faites par celui que l'on prenait pour un vieil original fortuné étaient toujours en sa faveur... La direction des jeux s'aperçut que le vieil Anglais avait gagné des sommes importantes qui représentaient certainement un excédent de 20% des coups posés sur le tapis...
Ou le vieil Anglais avait beaucoup de chance... ou il disposait d'un système. Mais, à cette époque, le trente et quarante a un tel passé de bons et loyaux services pour les casinos que la direction ne s'émeut pas...
Quelques semaines plus tard cependant, le vieil Anglais quitte le casino. Il a gagné des sommes considérables, mais il n'est pas le seul joueur dans ce cas et sans doute reviendra-t-il rendre au casino les sommes empruntées. Le « refait » du trente et quarante, c'est-à-dire le point « un après », quoique modeste reste cependant à la longue efficace.
Au cours de la saison suivante, en 1924, le vieil Anglais est revenu. Dès l'ouverture, à dix heures du matin, il s'installe à une table et recommence ses calculs... Hélas ! Il n'est plus le seul. Aux autres tables de trente et quarante, deux jeunes Italiens font également des calculs compliqués dans un carnet, et à la fin de certaines tailles, jouent aussi rouge au maximum... Quelques semaines plus tard, une dizaine de joueurs, semblant indépendants les uns des autres, jouent au trente et quarante en pontant sur le dernier coup d'une taille... Leurs mises sont variables, mais nombreux d'entre eux jouent le maximum autorisé, et tous gagnent...
Cette fois la direction du casino est très émue. Toutes les tables de trente et quarante sont en déficit, elles perdent avec autant de régularité qu'elles gagnaient autrefois. Des centaines de milliers de francs quittent la caisse et vont remplir la poche des joueurs patients... Certains d'entre eux, les impatients, ont quitté le casino, d'autres les ont remplacés...
Que s'est-il passé ? A cette même période, un livre est sorti. Son titre «jouer et gagner» n'a nullement ému le casino. D'autant que le nom farfelu de son auteur, «Bille d'Ivoire», n'a rien pour inspirer le sérieux et la rigueur scientifique. Il est sorti beaucoup d'ouvrages sur le jeu. Or la direction apprend par la suite que ce pseudonyme cache un mathématicien et que son livre explique par A plus B comment battre le trente et quarante... Ce livre contient bien des choses intéressantes, mais cette formule pour battre « Le roi des jeux » semble parfaitement efficace. Certes, il faut à ceux qui la pratique beaucoup de patience, mais certains l'ont.
Il s'est constitué de véritables syndicats qui jouent comme le vieil Anglais sur le dernier coup de certaines tailles et gagnent beaucoup plus souvent qu'ils ne perdent... Or, un casino qui se respecte ne ferme pas des tables de jeu pour cause de perte. Et comme Monte-Carlo respecte la tradition, le jeu continue... Mais les spécialistes du casino ont étudié «Bille d'Ivoire». Et celui-ci, dans son livre a donné la solution exacte. La même que celle pratiquée par le vieil Anglais... Courants d'idées ?
Ce n'est pas simple et il fallait y penser à cette solution. Personne avant lui n'avait en effet fait ces calculs complexes, puisque durant plus de 150 ans d'existence, le trente et quarante n'avait jamais été battu durablement et triomphait dans toutes les maisons de jeu.
Le trente et quarante était joué avec six jeux de 52 cartes, sans aucun Talon, c'est-à-dire sans que reste à la fin du jeu un certain nombre de cartes non utilisées. Or il était possible, pour les joueurs doués pour le calcul mental et capable d'une grande attention, de comptabiliser l'ensemble des points passés et, dans certaines conditions précisées prévues par le système, de jouer rouge au dernier coup de la taille avec un avantage très important, avoisinant 20% des coups en excédent... Encore fallait-il connaître cette sensationnelle formule.
« Bille d'Ivoire » a donné des explications aussi exactes que complètes dans son livre «jouer et gagner ». Voici le début de cette démonstration :
«Au total, les 312 cartes font 2040 points. Toutefois où les premiers coups de taille (24 ou 25 ou 26, etc. premiers coups) auront utilisé au moins 1977 points, l'on a une certitude de gagner, à la longue, en jouant toujours rouge, à mises égales, sur le dernier coup de la taille, malgré l'usure du refait contre lequel on s'assure.
Je prétends donc que toutes les fois où il restera seulement 63-64-65-66-67-68-69-70-71 points pour le dernier coup de la taille de trente et quarante, en jouant rouge, on doit gagner plus souvent qu'on ne perdra. En jouant toujours rouge dans ces conditions, et en s'assurant bien entendu (cette assurance coûte 1%, mais est nécessaire surtout lorsqu'il ne reste que 63 points dans la taille). On l'emportera nécessairement de plusieurs masses avec une certitude absolue et mathématique. »
Il ajoute: « La démonstration est facile (et suivent une dizaine de grandes pages d'explications), mais l'essentiel était donné en ces quelques lignes... »
Bien entendu, devant le succès remporté par certains joueurs, d'autres vinrent, et ce que le casino pouvait admettre de deux ou trois joueurs, il ne pouvait le supporter de cinquante... Même si certains d'entre eux n'avaient pas la patience ni le caractère d'attendre que soient réunies les conditions... même si beaucoup d'entre eux ne comptait pas assez vite. Il en restait beaucoup trop pour pouvoir continuer ainsi...
Pour le casino, il n'existait plus que deux éventualités : arrêter le jeu ou le transformer. La première solution était difficile à envisager...
Ce fut un croupier qui trouva la solution la plus élégante et la plus efficace.
Une carte, de couleur rouge, serait introduite au hasard dans la dernière partie constituée par le paquet de 6 X 52 cartes. De ce fait, les joueurs qui jouaient sur le dernier coup de taille ne pourraient plus utiliser le décompte des points, car les cartes utilisées après la carte rouge ne seraient jamais utilisées, la carte rouge clôturant chaque taille désormais...
Le remède était trouvé, mais les millions gagnés par les joueurs l'étaient définitivement et l'ancien trente et quarante, réputé imbattable durant de nombreuses années, avait vécu...